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Lettre ouverte à Cécile Duflot

 

Madame la Ministre,

Le 31 mars 2013 sonnera, avec une rallonge de 15 jours, la fin de la trêve hivernale et donc l’heure du retour à la rue avec expulsions locatives. Nous avons suivi avec intérêt les annonces que vous avez pu faire en faveur de la construction de logements sociaux, en faveur de l’application de la loi de réquisition. Mais si les intentions sont bonnes, le changement se fait attendre malgré l’urgence. Si nous attendions la création d’un véritable service public du logement plutôt que l’appel à la charité de l'Église catholique et la baisse du taux de rémunération du livret A qui fragilise la construction sociale, l’annonce de réquisitions, de l’interdiction des expulsions sans relogement, du blocage des prix des loyers… pouvaient constituer de premières pierres dans la construction de cet objectif juste et nécessaire.

L’objet de cette lettre ouverte est simple, nous voulons des réponses immédiates aux problèmes réels et urgents des personnes en situation d’extrême précarité. Le logement, droit fondamental, est pourtant essentiel à la prise d'autonomie, à la construction de soi, et de son projet personnel. Érigé en privilège comme aujourd'hui, il se trouve être le principal vecteur d'exclusions. L’austérité annoncée et les décisions en matière d’emploi n’augurent rien de bon pour l’avenir. Comment imaginer que des jeunes et des salariés, dans le cadre de l'Accord national interprofessionnel (ANI), puissent se loger en toute sécurité s'ils sont constamment menacés par les variations arbitraires de salaires, la mobilité forcée, les licenciements ? On voit mal comment cette situation désastreuse, faite d’ultra-précarité, de mal-logement et de non-logement, pourrait s'améliorer, à court et à moyen terme. Nous le voyons au quotidien, et les chiffres sont criants : plus de 90% des étudiants doivent se loger en dehors des CROUS et consacrent 70% de leur budget au logement, les jeunes salariés y consacrent aussi plus de 50% de leurs revenus, de moins en moins fixes du fait de la dégradation des contrats de travail.

C’est dans ce contexte que vous avez annoncé, dans le cadre d’un projet de loi-cadre à venir, la création d’un fonds de garantie contre les loyers impayés. Nous pourrions trouver l’idée intéressante si elle n’avait pas été déjà développée à maintes reprises, sous différentes formes et conditions : par les collectivités, par l’Etat, par les banques privées, pour les étudiants notamment… Ne peut-il y avoir d'alternative au fait d'utiliser le contribuable pour accompagner sans cesse les hausses de prix du loyer, dans un marché totalement irrégulé ? La dignité est à ce prix. Les jeunes que nous rencontrons tous les jours avaient été nombreux à se mobiliser ces dernières années contre l'insalubrité des logements qu'on leur propose à des tarifs exorbitants. Les étudiants sont nombreux à nous avoir rejoints sous le mot d'ordre de « Ni précarité, ni charité, des logements pour étudier ! »

Nous ne connaissons que trop bien le refrain du chantage auquel se livrent des propriétaires peu scrupuleux, faisant croire que le problème des logements laissés vacants reposerait sur le fait que les propriétaires sont échaudés par les « impayés », et on s’inquiète de choix qui fixent comme priorité de « protéger les propriétaires responsables contre certains locataires qui ne le sont pas ». Interrogeons cette notion de responsabilité : est-ce que le fait de laisser plus de 90% des étudiants orphelins de tout logement du CROUS, en absence de politique conséquente, est responsable ? Est-ce que le refus d’agir sur les augmentations incroyables de loyers en dépit de tout bon sens l’est davantage ? Les leviers légaux existent pourtant et rappelons que la loi SRU (relative à la solidarité et au renouvellement urbains), qui impose un minimum de logement social aux communes, n'est pas respectée par certains maires UMP qui préfèrent rester dans l'illégalité, invoquant des questions historiques. De la ségrégation sociale comme patrimoine...

Nous avons lutté ensemble les années précédentes, avec les associations Jeudi Noir et Droit au logement, avec la Confédération nationale du logement (CNL) et la Ligue des droits de l'homme (LDH), contre les expulsions locatives. Nous sommes aujourd'hui toujours mobilisés pour des orientations politiques courageuses, dont le premier geste serait l’interdiction des expulsions sans relogement tout au long de l’année, et le lancement de la construction massive de logements sociaux, notamment pour les jeunes et les étudiants. Le temps est venu de passer à l’action, d’interdire les expulsions locatives sans relogement, d’effectuer les réquisitions.

Et plus encore, c’est d’une régulation du montant des loyers, du redéploiement d’un service public ambitieux du logement dont nous avons besoin, avec, en particulier, la construction de 200 000 logements par an, ce qui profiterait aux jeunes salariés et apprentis, la nationalisation des résidences universitaires privées, et leur intégration au patrimoine d’un CROUS financé par la refonte des aides individuelles en une aide à la construction de logements sociaux. Il s’agit là de mesures concrètes qui permettraient de sortir ce besoin fondamental des logiques de marché, pour le remettre sur les rails de la réponse à nos besoins. Ce serait non seulement juste, mais tout à fait possible; ce sont ces propositions que les députés communistes et du Front de Gauche avaient fait valoir dans une loi-cadre permettant aux jeunes de prendre en main leur avenir. 

Nous trouvons dommageable de descendre dans la rue le 16 mars, quand hier nous y descendions ensemble, tout comme nous trouvons dommageable d'avoir passé ce début d'année à ressasser sans cesse, lors de la Conférence nationale contre la pauvreté, lors duConseil économique, social et environnemental (CESE) ou encore lors du Forum français de la jeunesse, avec nos partenaires, les mêmes constats qu'il y a près de dix ans. Durant la campagne présidentielle, déjà, nous avons été des 65 organisations signataires d'un appel à un big bang des politiques de jeunesse. Ce que nous attendons, ce ne sont pas quelques mesurettes spécifiques de plus, destinées à combler ici et là les difficultés spécifiques dont nous sommes victimes. Une politique de logement ambitieuse ne serait que l'ombre d'elle-même si elle se plie aux exigences de l'économie de marché. L'heure n'est pas à nous faire subir de plein fouet des exigences de sacrifice, alors qu'on préserve dans le même temps le profit et la spéculation immobiliers. Il s'agit bel et bien de donner à tous les moyens d'accéder à un logement qui corresponde à ses besoins. Pour cela, nous avons besoin du premier vrai signe d’un changement de cap en faveur du logement. 

Dans l’attente d’une réponse positive de votre part,

Nordine Idir, secrétaire général du Mouvement des jeunes communistes de France

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Lettre ouverte à Cécile Duflot

le 19 March 2013

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